La nutrition est-elle un levier pour que la grande distribution se réinvente ?

Publié le 27 septembre 2018

Regards d'expert

La grande distribution a vu ses ventes progresser de 10,4 % depuis 2010 alors que le e.commerce affiche, lui, une croissance insolente de 109,4 % [1]. Le consommateur a bien changé en seulement quelques années. « La consommation est désormais fractionnée » selon Alexandre Bres du cabinet Accenture. Entre les achats en ligne, le commerce local, les magasins spécialisés, voire la production personnelle, les Français multiplient les points d’approvisionnement selon des besoins bien précis.

Face à ce basculement, tous les moyens sont bons pour retenir le consommateur et lui donner de bonnes raisons de préférer un distributeur plutôt qu’un autre. La grande distribution étant principalement le lieu des achats alimentaires, la nutrition-santé est pressentie comme l’un des leviers pour convaincre et fidéliser.

Ce pressentiment est-il fondé ? Que faut-il faire quand on est distributeur et que l’on souhaite se différencier sur le sujet ?

1. Mener l’innovation plutôt que la suivre

Nous parlons là d’innovation produit. Elle a très longtemps été la chasse gardée des industries agroalimentaires (IAA), les distributeurs étant plutôt perçus comme des suiveurs, voire des copieurs… La raison de choisir un produit MDD était alors bien souvent le prix. Or, on sait aujourd’hui que les bas prix ne suffisent plus. Ils peuvent même être synonyme de mauvaise qualité. Pour casser cette image bas de gamme et proposer des produits innovants plutôt que des me too, les acteurs de la grande distribution se sont intéressés aux tendances et ont, pour certains, commencé à devancer les IAA.

Dès 2011, une enseigne comme Casino était capable de proposer une gamme complète sans gluten. Elle a été suivie en 2013 par Leclerc. Cette année, Carrefour a étonné en se positionnant sur le marché des substituts de viande en développant un steak haché hybride : 50 % animal, 50 % végétal. Grâce à leurs moyens, les distributeurs sont devenus le soutien de l’innovation : Carrefour, encore une fois, a mis en place le concours d’innovation Get Up par exemple.

N’oublions pas que les distributeurs ont participé à la mise en place du Nutri-Score en ouvrant leurs portes au moment de l’étude qui a permis de trancher en faveur du Nutri-Score plutôt que d’un autre système d’étiquetage.

Il est loin le temps où les distributeurs n’étaient… que des distributeurs. Plus qu’un prestataire des IAA, ils deviennent leur égal, et même, ils apportent un service en plus du produit.

2. Faire la chasse aux indésirables : additifs, sucres, sel…

Avant même d’innover, le mieux est de commencer par le commencement en révisant les recettes des produits MDD. Moins de sucres, moins de sel, moins de matières grasses : les acteurs de la grande distribution se sont très tôt engagés dans ce domaine avec la signature de chartes de progrès nutritionnels (Leclerc, Intermarché…). Ce qui est plus inédit, c’est que les discounters s’y mettent aussi. Cette année, c’est Aldi qui a décidé de revoir 80 de ses recettes pour réduire les acides gras saturés, les sucres, le sel ; et pour augmenter la teneur en fibres, avec notamment plus de légumes dans les plats préparés. Cela nécessite bien sûr un travail des équipes R&D et qualité, mais aussi une collaboration étroite avec les fournisseurs.

Dans une approche plus interactive, Les magasins U se positionnent comme le distributeur qui fait la chasse aux additifs et viennent de lancer l’application mobile Y’a quoi dedans. Disponible sur Android et iOS, elle permet de filtrer les aliments selon ses préférences personnelles : éviter certains additifs, privilégier les produits bio ou sans gluten, sélectionner un label… Elle vient concurrencer l’application Yuka qui, elle ne permet pas de personnalisation.

Le développement d’une application mobile est long et coûteux, avec la nécessité de concevoir énormément de contenus nutritionnels (catégorisation des aliments selon certains critères, rédaction de recettes et de conseils…). L’investissement est lourd mais il reflète bien les enjeux liés à la nutrition-santé.

3. Faire des hypermarchés de véritables lieux de vie

52 % des Français font leurs courses dans des supermarchés, hypermarchés ou hard-discount [2]. C’est encore une majorité des consommateurs, mais ces espaces gigantesques doivent être repensés pour être mieux valorisés. Certains magasins ont choisi de réduire leur surface d’exploitation [1]. D’autres ont choisi d’utiliser l’espace dont ils disposent :

  • Le groupe Les Mousquetaires (Intermarché) ouvrira le 2 octobre prochain un magasin dédié aux seniors actifs : « Bien chez moi ». Plus qu’un lieu de commerce, ce sera un lieu de vie. Il mettra à disposition des conseils pour bien manger ou encore des ateliers bien-être.
  • Auchan a transformé le dernier étage du parking d’un de ses magasins en potager vertical. Le concept va encore plus loin en proposant des cours de jardinage et de yoga. Carrefour avait fait une annonce similaire en 2017 avec l’installation de potagers urbains sur les toits de certains magasins. Ou comment privilégier les circuits courts et répondre à la concurrence des commerces de proximité.

Le commerce de proximité est d’ailleurs la raison probable de l’offre (supposée puis démentie) faite par Carrefour (spécialiste de l’hypermarché) à Casino (propriétaire de Monoprix)… Affaire à suivre.

4. Devenir le relais entre le point de vente et la maison grâce aux recettes

Un bon moyen de créer du lien avec le consommateur est de l’accompagner jusque dans sa cuisine. Les acteurs de la grande distribution sont garants de ce que les consommateurs achètent et donc de ce qu’ils cuisinent. Or on a conscience que bien cuisiner, c’est bien manger. CQFD !

C’est cette dynamique qui a poussé les distributeurs à proposer du contenu culinaire : Monoprix avec l’application Jow pour transformer une recette en liste de courses, Auchan qui propose des paniers à cuisiner ou Carrefour qui a intégré un générateur de menus à son application Carrefour et moi. Pour développer ce genre de service, il faut donc s’armer d’un savoir-faire culinaire (conception de recettes, personnalisation de recettes selon des profils de consommateurs) en plus d’un savoir-faire en nutrition-santé.

5. Devenir militant du mieux manger

Très récemment, certains distributeurs ont adopté un ton proche du militantisme. C’était le leitmotiv de Leclerc, c’est maintenant celui deCarrefour avec sa campagne massive Act For Food. Visible en Tv, presse, réseaux sociaux… Act For Food se targue de redonner le pouvoir au consommateur sur ce qu’il mange.

Avec une approche qui joue la carte de l’émotion et qui s’appuie sur des instants de vie, Intermaché est très convaincant comme dans ce spot : « A chacun sa raison de mieux manger ».

C’est grâce à ce type de discours, centré sur les habitudes de vie plutôt que sur le produit, que les distributeurs deviennent des acteurs du changement nutritionnel.

Les actions pour mieux manger sont nombreuses, mais est-ce suffisant ?

On peut dire que les acteurs de la grande distribution prennent leurs responsabilités en matière de nutrition-santé, et même de « mieux manger » si nous sommes fidèle à leur message. Les moyens mis en oeuvre sont colossaux et devraient permettre de renouveler la façon dont on fait ses courses avec plus de transparence, de proximité, d’humanité, de services, voire de foodtech ! Il va donc falloir continuer à mettre les bouchées doubles, à 3 niveaux :

  • L’innovation : révision massive des recettes, développement de gammes de produits en propre,
  • La communication, avec une approche la plus transparente et la plus sincère possible,
  • Les services : accompagnement du consommateur du point de vente jusqu’à la prise des repas.

[1] Ouest France. Commerce. La grande distribution en pleine révolution. 23.01.2018

[2] Opinion Way. L’évolution du commerce et sa déshumanisation progressive, octobre 2017.

A propos de l'auteur

Alexia

Consultante senior du pôle food, sa créativité et sa connaissance du consommateur n’ont pas de limites.
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